Complètement parano ! » Une remarque qu’on entend souvent . Adressée à un parent, un ami ou un collègue trop susceptible, la formule est pourtant abusive, la paranoïa étant une véritable pathologie, comportant divers degrés de gravité. C’est un véritable trouble de la personnalité qui apparaît à l’âge adulte (vers 35 ans) et qui évolue parfois en psychose. Ceux qui en sont atteints sont toujours hyperméfiants et soupçonneux. Quoi que vous fassiez, ils sont convaincus que vous leur voulez du mal et que vos intentions sont malveillantes. En réaction, ils restent sur la défensive et font preuve d’un besoin de dominer et de tout contrôler, qui ne facilite pas leurs relations avec les autres.
Très peu affectifs, ils peuvent aussi se montrer irritables et paradoxaux quand ils s’expriment.Enfin, s’ils donnent une forte image d’eux-mêmes (ils sont persuadés d’avoir toujours raison), c’est parce qu’ils ont peur d’être manipulés, ce qui dénote, en réalité, tme faible estime de soi. Souvent très intelligents et désinhibés, ils disent ce qu’ils pensent comme ils le pensent. « Ce sont des gens qui contrôlent très mal leurs émotions et leurs sentiments et qui essaient de mettre en place un système qui donne le rôle essentiel à la pensée, explique le Dr Olivier Bouvet de la Maisonneuve, psychiatre et psychanalyste à l’hôpital Sainte-Anne à Paris. Ils sont, en général, très intelligents et intellectualisent tout. » On peut être paranoïaque au travail et pas dans la vie privée ou vice-versa. Le diagnostic est plus souvent porté chez l’homme que chez la femme, assurent les rares recherches publiées sur le sujet. On ne dispose pas de véritables études sur cette pathologie qui peut prendre diverses formes, car les paranoïaques sont dans le déni et ne se reconnaissent pas comme malades, ce qui complique le diagnostic et la prise en charge.
DE LA FORME LÉGÈRE À LA PSYCHOSE
Les traits de caractère sont toujours les mêmes (voir ci-contre), mais ils peuvent être plus ou moins sérieux. Dans sa forme « allégée », laparanoïaestparfois appelée « hypersensitivité ». Les hypersensitifs sont méfiants, susceptibles et profondément insatisfaits d’eux-mêmes sous un masque orgueilleux. Ce sont des Hypertrophie du moi Appellée aussi « autophilie », il s’agit d’une surestimation de soi qui s’exprime par l'autoritarisme, l’orgueil et l’égocentrisme. L’individu est alors toujours sûr de son bon droit et de ses opinions. Le paranoïaque cherche, en effet, à imposer aux autres ses idées. Peu affectif, il s’enorgueillit d’être objectif, froid et rationnel.
Fausseté du jugement Le raisonnement, revendiqué comme très logique, repose en fait sur des a priori empreints de subjectivité. Psychorigide, le paranoïaque rejette toute critique, même si elle est justifiée. Il ne tient pas l compte des arguments d’autrui. Il ne cherche qu’à imposer ses vues. Cela explique son absence totale d’autocritique. Méfiance et susceptibilité Le paranoïaque vit dans I l’attente d'être trompé. Il s'attend à ce que les autres l’exploitent ou le dupent, même si aucune preuve ne vient étayer ces attentes. Susceptible, il se sent insulté ou blessé, et se froisse s rapidement. Rancunier, il ne pardonne pas facilement. Sa sensitivité est à la limite de ; l’interprétation délirante. (écorchés vifs, souvent timides, repliés sur eux-mêmes, vulnérables et peu expansifs. « Assez passifs, ils ont le sentiment d’être des victimes », explique le Pr Antoine Pelissolo, psychiatre, chef du service de psychiatrie sectorisée de l’hôpital Albert-Chenevier à Créteil, et auteur de Vous êtes votre meilleur psy ! (Flammarion). On retrouve parfois des traits paranoïaques chez certains schizophrènes, chez les personnes âgées et les déprimés « lorsque la
dépression s’est chronicisée », précise le médecin spécialiste.
PLUSIEURS TYPES DE DÉLIRES
Le stress ou des émotions fortes liées à des événements de la vie provoquent parfois des complications : hypocondrie, alcoolisme, épisodes psychotiques très brefs entraînant un délire de quelques minutes à quelques heures, épisodes dépressifs avec délire de persécution. Le trouble peut également évoluer en véritable psychose et conduire à une perte de contact avec la réalité, accompagnée de délires qui peuvent prendre plusieurs formes : délires d’interprétation, passionnels (érotomaniaques, de jalousie, de revendication) et délires de relation des sensitifs, qui se manifestent par des comportements extravagants et des discours irrationnels, des hallucinations et des idées obsessionnelles. Cette période d’agitation émotionnelle, parfois même physique, traduit une atteinte sérieuse du fonctionnement de la pensée pour la personne qui nie ou interprète le réel à sa façon. Par un mécanisme de défense que l’on appelle la « projection », le paranoïaque rejette et reporte sur les autres des sentiments, des désirs ou des pulsions qu’il méconnaît ou refuse de reconnaître en lui-même. À ce stade, il peut être très agressif et dangereux. La pathologie, souvent aiguë et réversible, devient parfois chronique.
UNE ORIGINE MYSTÉRIEUSE
L’origine des troubles paranoïaques demeure mal définie. Selon la théorie du psychiatre américain Milton Erickson, elle remonterait à la petite enfance. Des facteurs précoces ne permettraient pas à l’enfant de jouir d’un environnement sécurisant, de satisfaire ses besoins de manière optimale et d’éveiller sa capacité de confiance. En réaction à un milieu instable et insécurisant, il
développerait une méfiance dont les vestiges pourraient le suivre sa vie durant. Ces traits de personnalité se manifesteraient très tôt par un comportement peu liant et instable. Ils deviendraient plus marqués à l’adolescence, où le sujet
3 QUESTIONS À... SOPHIE DE MIJOLLA-MELLOR
Psychanalyste et auteur de La Paranoïa (Que Sais-je ?)
« IL FAUT FAIRE PREUVE DE PRUDENCE »
Comment se comporter avec esttrès sensible au regard de l’autre. un paranoïaque ?
S.M.M. Chaque cas est unique. Tout dépend du type de paranoïa dont on parle, et du genre de relation que vous entretenez avec lui ou elle.
Quelle est la ligne de conduite à suivre afin de ne pas le heurter ?
S.M.M. Il ne faut pas être sur la défensive mais faire preuve de prudence. En effet, le paranoïaque est hyperattentif à tout ce qu'il voitparce qu’il ne peut décoder sur le visage de l’autre ce que celui-ci ressent. Il interprète tout ce qu’il voit comme autant de signes négatifs. Il est donc préférable d’avoir l’attitude la plus neutre possible. Imaginons que quelqu’un vous regarde fixement dans le métro. Il vous a identifié comme persécuteur possible.
Si vous lui rendez son regard, il risque de mal l’interpréter et de devenir très agressif. Le paranoïaque, peut-on le rassurer ?
S.M.M. Cela ne servirait à rien, au contraire ! Il faut comprendre que vous avez affaire à une personne qui souffre, comme si elle n’avait pas une peau normale, une enveloppe corporelle suffisamment étanche. C’est un écorché vif auquel on ne peut pas parler comme à quelqu’un d’ordinaire. Il faut essayer de ne pas le blesser davantage...