Comment l’histoire influence-t-elle les représentations diplomatiques et géopolitiques actuelles de la France ? Existe-t-il un décalage entre nos représentations et les perceptions des autres pays ? La France est-elle encore aujourd’hui une grande puissance ? La politique étrangère de la France obéit-elle à une stratégie, à des constantes ? Quelles relations la France entretient-elle avec les Etats-Unis, la Russie, la Chine ?
Maxime Lefebvre, ancien ambassadeur et professeur affilié à ESCP Europe, auteur de La politique étrangère de la France (Que sais-je ?, 2019), répond aux questions de Pierre Verluise, fondateur du Diploweb.com.
Pierre Verluise (P. V) : Maxime Lefebvre, après La politique étrangère américaine (dernière édition 2018) et La politique étrangère européenne (dernière édition 2016) vous publiez un troisième Que sais-je ? sur La politique étrangère de la France. Vous avez pris le parti de consacrer une moitié de votre ouvrage à l’évolution historique. Pourquoi remonter aux origines et en quoi cette histoire influence-t-elle les représentations diplomatiques et géopolitiques actuelles de la France ?
Maxime Lefebvre (M. L.) : Parce que l’histoire de la politique étrangère de notre pays se confond avec l’histoire de notre nation, et que la politique étrangère est l’expression de notre personnalité, de notre identité sur la scène internationale. Cela a commencé par la souveraineté, revendiquée par les rois de France face aux pouvoirs supranationaux du Moyen Âge qu’étaient l’empereur germanique (« le roi est empereur en son royaume », disait Philippe le Bel) et le pape (avec la doctrine du « gallicanisme », s’opposant à la justice papale et revendiquant le droit de nommer les évêques). La France est l’archétype de l’Etat souverain, qui se met en place bien avant les traités de Westphalie de 1648. Cela reste très important aujourd’hui : la France est engagée dans la construction européenne, mais elle n’a jamais voulu se fondre dans un Etat fédéral (les sondages montrent que les Français ne le souhaitent pas) et elle entend préserver une autonomie sur le plan diplomatique et militaire. Elle se pense comme un acteur, comme une puissance sur la scène mondiale. Même si le ton est moins grandiloquent qu’à l’époque du général de Gaulle, elle garde une estime de soi, une volonté politique, une obsession de son statut, de son rang, d’une forme de « grandeur », et c’est tout autant l’héritage de la puissance française que le reflet de l’importance des questions de statut dans l’organisation de la société française, qui là aussi remonte très loin.
Le rôle central du président de la République dans la politique étrangère, tant au niveau de la décision que de la représentation, découle de cette histoire. C’est une spécificité de notre pays, notamment par rapport à l’Angleterre ou à l’Allemagne où le rôle du chef de l’Etat est essentiellement protocolaire et où le parlement a des prérogatives majeures (on le voit dans le Brexit actuellement). Dans le cas de l’Allemagne, les ministères techniques et les Länder ont également des pouvoirs importants. Ce rôle central du président de la République est directement hérité de la monarchie prolongée par l’Empire...
Bibliographie de Maxime Lefebvre