À l’occasion de la mort d’Abou Bakr al-Baghdadi, le chef de l’État islamique survenue le 27 octobre et fruit d’une opération américaine, Maxime Lefebvre, diplomate de carrière, professeur à ESCP Europe, contributeur régulier du site « Diploweb » et auteur de La politique étrangère américaine décrypte le style de Donald Trump en matière de politique étrangère.
Le 27 octobre, après avoir fait un teasing sur Twitter, Donald Trump a annoncé en personne à la télévision la mort d’Abou Bakr al-Baghdadi, le chef de l’État islamique.
Au-delà des considérations de communication, quel réel bénéfice peut le Président américain tirer de cet événement ?
C’est un succès. Cela lui permet d’inscrire à son bilan une victoire en matière diplomatique et de détourner l’attention alors qu’il est sous le coup d’une procédure d’impeachment, cerné par « l’affaire ukrainienne » pour laquelle il est soupçonné d’avoir fait du chantage auprès de l’Ukraine pour les contraindre à enquêter sur son rival Joe Biden. En scénarisant l’annonce de l’événement, Donald Trump a voulu maximiser les effets auprès de l’opinion. Mais l’impact sera moins fort que pour la mort de Ben Laden en mai 2011. Les Américains avaient alors le sentiment que « justice était faite » pour les attentats du 11 septembre 2001. Avec al-Baghdadi, qui certes incarnait le « mal », la menace terroriste sur les USA était moins prégnante.
Il incarne le reflux actuel de l’universalisme idéologique. Il ne se laisse pas entraîner sur la pente néo-conservatrice.
Comment qualifierez-vous le style de Trump en matière diplomatique ?
Contrairement à ses prédécesseurs, Trump utilise l’argument de la morale mais avec ambiguïté. Il y a dans son approche un mélange d’esprit « Far west », avec d’un côté les bons et les méchants, un bon indien est un indien mort, et une forme d’égoïsme. En dirigeant nationaliste et populiste, qui a pour maxime « America first », le Président américain privilégie les intérêts personnels des Américains, leur sécurité, tout en flattant leurs bas instincts. Paradoxe : il veut représenter l’homme fort, mais dans le même temps, il se montre prudent. Il incarne le reflux actuel de l’universalisme idéologique. Il ne se laisse pas entraîner sur la pente néo-conservatrice. Le renvoi de son conseiller John Bolton, un faucon, est à ce titre éloquente. Trump n’est pas pour l’interventionnisme à tout prix. Il incarne la fatigue contemporaine des États-Unis à l’égard des interventions militaires sur le théâtre extérieur. On le voit pour l’Iran : il engage un bras de fer mais ne va pas jusqu’au bout. Il se retire de Syrie. Il ne veut pas mettre le doigt dans les engrenages. Cela ne l’empêche pas de croire au rapport de force militaire. Le Président américain a d’ailleurs augmenté les dépenses militaires, et il est dans la rivalité tratégique avec la Chine.
Trump rompt-il définitivement avec la tradition américaine en vertu de laquelle les États-Unis sont les « gendarmes du monde » ?
Cette grille de lecture n’est pas toujours opérante. Après-guerre, le président Roosevelt n’a pas voulu endosser ce rôle tout seul, il a voulu impliquer la Russie, la Chine et le Royaume-Uni. Pendant la guerre froide, les États-Unis se sont montrés plus enclins à être les parrains du monde libre. Mais après la chute du communisme...